Webb : « Cette finale a changé ma vie »
L’Anglais Howard Webb est un homme normal. Aujourd’hui âgé de 44 ans, il répond à nos questions de façon détendue et ouverte, le tout avec le sourire. On aurait presque du mal à croire que c’est bien lui qui a arbitré la finale de la Coupe du Monde de la FIFA, Afrique du Sud 2010™ entre l’Espagne et les Pays-Bas. « Ce match a complètement changé ma vie », confie à FIFA.com celui qui sera présent à Brésil 2014 en compagnie de ses assistants.
Père de trois adolescents – « ils le montrent peu, mais je crois qu’ils sont fiers de mon travail » -, Webb était à Zurich récemment pour un nouveau séminaire de préparation à Brésil 2014. Il a répondu aux questions de FIFA.com et a évoqué ses débuts dans la profession, ses souvenirs de la finale d’Afrique du Sud 2010 et le dilemme qui se présentera à lui et à tous ses collègues au Brésil : qui, de son équipe d’officiels ou de sa sélection nationale, aimerait-il aller voir le plus loin dans la Coupe du Monde 2014 ?
Howard Webb, la plupart des enfants rêvent de devenir footballeurs. Il n’y en a pas beaucoup qui disent vouloir arbitrer. Comment est née votre passion pour l’arbitrage ?
Mais moi aussi, je rêvais d’être joueur ! Vous pouvez demander à n’importe quel arbitre présent ici, ils vous diront tous que le football est leur passion. C’est pourquoi nous faisons ce travail. Les enfants rêvent d’être footballeurs, c’est certain, et nous ne sommes pas différents d’eux. J’ai essayé de devenir joueur professionnel. J’ai beaucoup travaillé dans ce but, mais je n’avais tout simplement pas le talent nécessaire pour y arriver.
À quel poste jouiez-vous ?
J’étais défenseur central. J’avais la taille pour cela. Je possédais une bonne lecture du jeu, mais je n’ai jamais été très adroit dans le jeu aérien. Je suppose que je n’étais pas suffisamment bon. À l’époque, l’image que j’avais des arbitres étaient qu’ils étaient vieux et chauves. C’est pour ça que lorsque mon père (arbitre semi-professionnel) m’a proposé de devenir arbitre, il ne m’a pas du tout convaincu. Je me suis dit : « Non non, ce truc n’est pas pour moi ». Quand j’y repense, je me dis que c’est peut-être l’image que les jeunes se font de moi aujourd’hui (rires). Mais à 17 ans, j’ai décidé de tenter le coup, avec un ami qui voulait s’inscrire dans une école d’arbitrage. Cette décision m’a mené loin, jusqu’à la finale de la Coupe du Monde 2010 ! Peut-être pas dans la fonction dont j’avais rêvée, mais ça m’a quand même permis d’être sur la pelouse. Grâce à l’arbitrage, j’ai voyagé dans 44 pays et sur cinq continents. C’est incroyable ! Ça en a vraiment valu la peine.
Recommanderiez-vous à un jeune la profession d’arbitre ?
Tout à fait. Toute personne qui a la passion du football doit considérer cette profession comme une opportunité. Tout le monde n’a pas le talent naturel pour devenir footballeur de haut niveau. Mais avec la bonne attitude et le travail nécessaire, si on aime ce sport, alors c’est une alternative qui vaut le coup d’être explorée.
Comment se comportait le joueur Howard Webb envers les arbitres ?
Je me concentrais sur ce que j’avais à faire. D’ailleurs, je me demande parfois comment les joueurs trouvent le moyen de commenter mes décisions, quand on connaît le degré de concentration dont doivent faire preuve les footballeurs au plus haut niveau. J’ai toujours eu beaucoup de respect pour les arbitres. Mais je dois dire une chose : de nos jours, la relation entre les joueurs et nous est très bonne. Ils ont confiance en les arbitres les plus expérimentés parce qu’ils les connaissent. Ils ont l’habitude d’être arbitrés par eux et comprennent qu’ils peuvent commettre des erreurs. Ça fait aussi partie du jeu.
Quels sont selon vous le meilleur et le pire aspect du métier d’arbitre ?
Le plus grand avantage est que nous sommes au meilleur endroit pour profiter du spectacle, du sport que nous aimons. C’est un aspect qu’on signale rarement, mais qui n’en demeure pas moins réel : les gens payent pour assister à un match, moi non. Je rentre juste sur le terrain. J’ai travaillé très dur pour y arriver, c’est incontestable, mais en récompense, je suis à la meilleure place pour voir le match. Le pire aspect, c’est d’avoir à vivre avec nos erreurs. C’est inévitable et très difficile… Il ne faudrait surtout pas que les gens s’imaginent qu’après avoir dirigé un match, nous rentrons chez nous et passons à autre chose. Chaque fois que nous commettons une erreur, c’est douloureux, car cela a une influence néfaste sur le parcours d’une équipe, d’un joueur, d’un entraîneur et même sur notre réputation.
L’arbitre n’a pas de public. On ne parle de lui dans les journaux que s’il commet une erreur. Faut-il avoir une personnalité particulière pour effectuer ce métier ?
Oui, c’est certain. L’autre jour, j’ai lu un compte-rendu d’un match que j’avais dirigé. Ma prestation y était résumée en deux mots: « anonymement compétent ». Je me suis dit : « C’est parfait ». C’est exactement ce à quoi tous les arbitres aspirent : être compétents de manière anonyme. Cependant, le match exige parfois que nous sortions de l’anonymat, que nous nous imposions en quelque sorte. Mais c’est effectivement une satisfaction énorme de pouvoir quitter le stade en sachant qu’il n’y a eu aucun problème. Vous avez apporté votre pierre à l’édifice, mais personne ne parle de vous. C’est la plus belle sensation.
Parlons maintenant de cette finale entre l’Espagne et les Pays-Bas en Afrique du Sud. Quel est votre souvenir le plus fort de cette soirée à Johannesburg ?
Avancer en direction du terrain, prendre le Jabulani doré et passer à côté du Trophée de la Coupe du Monde. J’ai vu ce trophée de nombreuses fois dans ma vie : à la télévision, en réplique… Mais être devant l’original… C’est l’objet en métal le plus brillant que j’ai vu dans la vie. C’est une statue en or avec le monde tout en haut, et ce socle vert. C’est incroyable.
Cela donne-t-il envie de la soulever ?
Oui ! (rires) C’était mon rêve, de pouvoir le faire un jour comme capitaine. C’est un grand honneur d’avoir été présent là-bas. Quand j’en parle, j’ai les poils qui se dressent, pas sur ma tête bien sûr, mais sur la nuque. Ce fut une expérience fantastique. Cette finale a changé ma vie, dans tous les sens du terme.
Combien de fois l’avez-vous revue ?
Une seule fois. J’ai attendu quatre semaines après la finale pour la revoir. J’ai invité un ami à la maison, et nous avons regardé le match en entier. C’était surtout pour vérifier que je n’avais rien oublié. Maintenant, je l’ai en tête à jamais. Ce fut un match difficile, mais je crois que je m’en suis mieux sorti que je ne l’avais pensé sur le coup. J’étais concentré à l’extrême sur mon travail ce soir-là. C’est un événement qui a une place à part dans mon esprit et dans mon cœur.
Avez-vous gardé des anecdotes de cette nuit-là ?
Oui, plusieurs. Je me souviens qu’après le coup de sifflet final, j’ai cherché des yeux mon père, qui était dans les tribunes. Après tout, c’est lui qui m’avait aiguillé vers ce métier. Quand je l’ai trouvé du regard, il a brandi un drapeau de l’Angleterre sur lequel il avait écrit : « Can’t play but can ref » (joue mal, mais arbitre bien). C’était génial (rire).
Maintenant que vous avez revu le match, changeriez-vous certaines décisions ?
Peut-être une ou deux, oui. Mais dans l’instant, vous devez décider sur la base des informations dont vous disposez et de l’angle où vous vous trouvez. Ce fut un match difficile. Ces expériences sont riches d’enseignements. J’aurais aimé être moins impliqué dans le match. Nous cherchons toujours à ce que les gens retiennent et commentent ce qui est magnifique dans un match, les buts… Mais dans ce cas précis, ce fut un choc très intense, très serré. C’est ainsi, vous dirigez une partie avec ce qu’elle vous donne, et vous le faites avec les meilleures intentions, en essayant de donner le meilleur de vous-même. C’est ce que nous avons fait lors de cette finale.
Plus l’Angleterre va loin dans un tournoi, plus vos chances d’arbitrer les derniers matches diminuent. Comment gérez-vous cette sensation ?
En tant que passionnés de football, nous voulons logiquement que notre sélection aille le plus loin possible. Nous savons donc que si cela arrive, si l’Angleterre gagne la Coupe du Monde, il y aura un impact positif énorme pour notre football. La meilleure façon de gérer cela est de ne pas trop y penser, car nous n’avons aucun contrôle sur la chose. De toute manière, vous êtes gagnant à tous les coups. Tant que l’Angleterre gagne, vous êtes heureux. Si ça se passe moins bien pour votre pays, alors c’est sur le plan personnel que vous avez l’opportunité d’aller plus loin dans le tournoi. Nous irons au Brésil en espérant que notre équipe aille le plus loin possible, réellement. Si cela signifie que nous devons rentrer chez nous en ayant bien fait notre travail, nous serons satisfaits.
FIFA.com