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22 November 2024
Nabil Haned: Une vie en deux temps

Nabil Haned: Une vie en deux temps

Août 27, 2015

Nabil_Haned

Portrait de Nabil Haned 

La question a probablement titillé tous les fans de soccer qui n’ont jamais garder les buts : pourquoi un garçon ou une fille voudrait devenir gardien de but au soccer? La cage à défendre est immense, ils sont 10 à vouloir y faire entrer un ballon, parfois avec force, et vous êtes équipé, minimalement, d’une paire de gants. La tâche est tellement improbable qu’elle en est presque absurde.

Pourtant, des milliers d’hommes et de femmes décident de se jeter corps et âme dans ce fou projet, rêvant de réaliser le plongeon salvateur qui permettra à son équipe d’éliminer son adversaire. Pour Nabil Haned, la question ne s’est même pas posée. « J’avais de meilleures sensations en plongeant pour arrêter la balle qu’en courant pour aller marquer des buts, c’est aussi simple que cela! »

Responsable des gardiens de but à l’Association régionale de soccer de Québec (ARSQ) et entraineur des gardiens du Dynamo, Nabil Haned débarque au Québec en 2003 en provenance de son Algérie natale. Depuis ce temps, il ne cesse de partager avec jeunes et moins jeunes sa passion du ballon rond et ses vastes connaissances sur le métier le plus ingrat du sport. Retour sur sa vie en deux temps, d’abord dans son pays d’origine, qui lui fera vivre toutes sortes d’émotions et d’expériences en tant que joueur, puis, dans sa terre d’exil, riche en rencontres heureuses et en nouveaux apprentissages.

Apprendre dans la rue

En Algérie, tous les gamins pratiquent le football. Et ils le font partout, sur n’importe quelle surface à disposition. « J’ai toujours dis que la rue avait été mon école de soccer, la meilleure qui soit en fait! On jouait n’importe où, sur l’asphalte, sur la terre battue, sur le gazon, on se lançait dans toutes les directions. J’y ai appris instinctivement mes premiers gestes en mimant ce que je voyais à la télévision », se souvient Nabil, qui se plaisait déjà à frustrer ses copains en bloquant leurs tirs.

Évidemment amoureux du soccer à la base, Nabil pratiquait pourtant une multitude de sports différents dans sa jeunesse. Ayant grandi tout près du Centre olympique, où toutes les installations le lui permettaient, le futur gardien s’initiera, entre autres, au handball, au volleyball, au tennis… « Quand je repense à ces belles années maintenant, je m’aperçois que tous ces différents mouvements que je développais m’ont servi dans ma carrière de joueur. Des petits déplacements courts, des va-et-vient dans tous les sens, des plongeons… C’est un peu ce qu’un gardien doit faire au soccer. »

Initié au sport dans la rue, Nabil fait tardivement son entrée dans le soccer organisé à l’âge de 13 ans. « J’ai commencé un peu tard par rapport à ce qu’on voit par ici, mais tout est allé très vite par la suite », se souvient-il. À 17 ans, toujours d’âge junior, il intègre une très bonne équipe, OM Ruisseau, réputée pour la qualité de sa formation. Plusieurs joueurs qui y sont passés sont devenus des « internationals » par la suite. Nabil s’entraine même avec l’équipe senior lorsque les premiers gardiens n’y sont pas. « On me disait qu’on aimait mon sérieux et mon comportement en général. C’est pour ca qu’on m’invitait dans le grand club. »

À cet âge, à force de côtoyer des gens qui gravitent dans le soccer, dont un gardien international qui jouait en senior et qui l’entraînait, Nabil apprend petit à petit les vrais rudiments d’un travail spécifique de gardien de but. Mais la somme de travail est lourde puisqu’il étudiait au même moment. « De mes parents, j’avais appris l’importance des études et je savais qu’une carrière professionnelle serait difficile à atteindre vu ma petite taille. Les études passaient donc devant la pratique du football. » Ce qui le mènera logiquement sur les bancs de l’Université d’Alger en agronomie. « Une fois à l’université, c’est devenu difficile pour moi, car il y a très peu d’universitaires qui jouent à un gros niveau chez nous. La plupart des joueurs sérieux sont rapidement affiliés à des clubs. »

Saisir sa chance

Maintenant âgé de 20 ans, Nabil est encore trop jeune, trop petit et trop mince pour réellement s’imposer. Pourtant, c’est à ce moment qu’il commence véritablement son parcours senior, comme deuxième gardien au sein de l’équipe universitaire, qui joue dans le circuit civil. Les débuts sont difficiles. Il réchauffe le banc, derrière le gardien numéro un, un très bon gardien, d’un niveau supérieur, qui redescendait jouer avec son équipe malgré les longs déplacements, payés par l’équipe. Finalement, en cours de saison, on le fait jouer un match de coupe. « Et je réalise une très bonne performance, se souvient-il parfaitement. Les dirigeants ont commencé à douter de la nécessité de garder leur premier gardien, qui leur coutait cher, alors que j’étais là à pouvoir faire aussi bien le travail. C’est là que tout a commencé pour moi! » Le plus dur est fait! Il a réussi à s’imposer une première fois chez les seniors.

Mais le passage au niveau supérieur ne se fait pas sans heurt. De 20 à 25 ans, Nabil continuera à galérer d’un club à l’autre, de la deuxième division à la quatrième, en passant par la troisième. « La concurrence était tellement féroce. Il y avait toujours un bon gardien qui passait devant moi. J’avais de bonnes qualités, mais jamais suffisantes pour passer devant des gardiens de très bon calibres. Et puis j’étudiais en même temps, ce qui était quand même un handicap. » À 25 ans, il posera enfin ses valises pour une saison presque complète comme titulaire pour le club ESBA de la troisième division.

Sauf que de bonnes opportunités peuvent se pointer le bout du nez à qui sait les attendre… Pendant son séjour à ESBA, Nabil reçoit une invitation du club de division 1 NAHD qui se cherche un troisième gardien. « C’est à toi de sauter sur l’occasion, lui dit-on. Si tu le mérites, tu seras notre homme! » Le gardien pouvait espérer faire un saut de deux divisions, jusque sur la première! Il ne devait pas manquer son coup!

Mais le destin allait malheureusement en décider autrement. Nabil est terrassé par une angine, qui le cloue sur un lit d’hôpital pendant 10 jours, juste au moment où les essais allaient débuter. « Je dis souvent que lorsque la chance vient, il faut savoir la saisir. J’étais prêt à tout donner. Mais j’imagine que ce n’était pas mon heure. » Pendant son absence, le club se trouve un plan B. Après deux semaines de convalescence, il retourne finalement au sein de l’OM Ruisseau en D2, qui le signera après une bonne performance à son premier match de préparation, justement contre NAHD. Là, très bien entrainé par l’actuel coach des gardiennes de l’équipe nationale féminine algérienne, il s’installera en D2, mais comme deuxième ou troisième gardien.

Malgré la déception de l’occasion manquée en D1, notre gardien-agronome n’est aucunement amer. Il accepte ce qui lui arrive et poursuit son travail, même s’il devait repasser en D3. Avec cette attitude, il vivra ensuite quatre années exceptionnelles de 26 à 29 ans. « Je n’étais peut-être pas en D1, mais je n’y aurais peut-être pas beaucoup joué de toute façon. Là, en D3 pour IRHD (affilié au club NAHD), je jouais 30 à 40 matchs par année, j’étais quand même courtisé par des clubs de D1, ca allait bien! »

Quand NAHD lui offre, à 29 ans, de faire un autre essai en D1 après ses quatre années teintées de succès, il se lance, mais « le cœur n’y était plus vraiment. Je n’étais pas prêt mentalement à faire tous ces entrainements, ces compromis », admet-il. À son retour en D3, l’équipe le laisse sur le banc, mécontente de son départ pour les essais de D1. Nabil est largué.

Quelques semaines plus tard, à son dernier match en sol algérien, dans une ambiance incroyable portée par une foule de presque 20 000 spectateurs, Nabil ne sera que témoin de l’événement. «  C’était fantastique pour un dernier match, l’atmosphère était vibrante, mais j’étais sur le banc. L’entraineur a voulu lancer le gardien plus jeune qui prendrait ma place. J’allais partir au Canada de toute façon », raconte candidement le gardien. Le parcours de joueur en Algérie de Nabil Haned prenait ainsi fin.

Nouveau départ dans le pays du froid

C’est tout un pan de la vie de Nabil qui se range dans un tiroir avec son projet d’immigration. Il quittait alors ce qu’il avait toujours connu. Alger la Blanche, le soleil maghrébin, la famille, les amis… Mais il n’en fait pas tout un plat. « Tout ça s’est fait rapidement, sans trop que je n’y réfléchisse, explique-t-il, comme si de rien n’était. J’étais simplement prêt à vivre autre chose. Un ami avait fait la même chose avant moi et il m’en parlait parfois. Je me disais que ce pourrait être bien lorsque j’en aurais terminé avec le ballon rond. Cet ami me disait même qu’il pouvait s’occuper des papiers à ma place. Alors le moment venu, je l’ai laissé faire. Je n’en avais même pas parlé à ma famille! »

Puisque des amis y sont déjà, sa demande prend la direction du Canada. « Je mentirais si je disais que j’étais attiré par le Canada au départ. Trop loin, trop froid. Les Algériens ont surtout l’habitude d’aller en France, en Europe. Mais moi, ce que je voulais vraiment, c’était la Nouvelle-Zélande. Ça aurait été très bien pour mon métier. J’aurais pu travailler en agronomie, avec les agneaux. Le Canada était par contre plus logique. »

C’est finalement à Toronto qu’il met les pieds pour la première fois en Amérique du Nord. Et pourquoi la Ville reine au juste? Pour le soccer évidemment! Un essai était prévu avec les défunts Lynx de Toronto, qui deviendraient quelques années plus tard le Toronto FC de la MLS. Un essai qui n’aura finalement jamais eu lieu. Comme ce passage à Guelph pour le programme d’agronomie de l’université locale. Notre homme ne se sentait simplement pas à l’aise en Ontario.

Nabil finit par appeler un bon ami qui habite Ste-Foy. « J’en étais encore à mes premières semaine en sol canadien alors j’avais toujours la liberté de choisir mon port d’attache. Mon ami m’a parlé en bien de Québec, il m’a dit que c’était une belle p’tite place, pas trop grosse, où la qualité de vie y était très bien. » C’est ainsi que Nabil Haned dépose ses valises dans la Capitale nationale en 2003. Et il y est toujours. Son ami devait être proche de la vérité…

S’impliquer dans le soccer québécois

À son arrivée à Québec, Nabil joue senior AA et AAA au sein du Kodiak de Charlesbourg. Il portera aussi les couleurs du Sélect Dynamo, alors piloté par Samir Ghrib, qui l’invite derechef à se joindre au Rouge et Or de l’Université Laval, et ce même s’il compte 35 années au compteur. « Honnêtement, je m’amusais, j’avais du fun. J’avais tellement vécu de choses en Algérie, dans des conditions difficiles devants des partisans hostiles, que le calibre et la pression universitaire, c’était plutôt pâle en comparaison. Je disais parfois à mes coéquipiers de ne pas s’en faire avec les 200 supporteurs de McGill, qui étaient réputés pour être hostiles… J’avais connu tellement pire », se souvient Nabil, en repensant à la folle ambiance qui pouvait exister dans les stades en Algérie.

Nabil profitera de son passage universitaire pour développer son réseau dans le monde du soccer québécois et il tombera évidemment sur un certain Helder Duarte, qui pouvait l’aider en ce sens. « J’ai commencé à donner des cliniques de gardiens de but à l’école de gardien de Helder et pour d’autres associations de soccer. Par la suite, dès qu’il y avait une opportunité avec un club, il m’y envoyait pour les aider. C’est là que le coaching spécifique des gardiens de but a véritablement pris son envol pour moi ici à Québec. » Finalement, en 2007, Nabil se joignait au Rouge et Or féminin à titre d’entraîneur des gardiens. « Helder a vraiment été généreux avec moi après mon arrivée. Je luis dois une fière chandelle. »

En 2007, alors entraîneur des gardiens de l’Association de soccer de Chaudière-Est (ASCE), toujours à temps partiel, l’opportunité de devenir directeur technique du club s’offre à lui. Il saute sur l’occasion! Pour la première fois au Québec, il gagnera sa vie en travaillant uniquement dans le soccer. « J’ai fait ce boulot pendant cinq ans. J’ai énormément appris. Autant du point de vue technique que du côté social, où l’on doit travailler de concert avec les parents, les bénévoles et toutes les autres personnes impliquées dans le sport. C’était très formateur. »

Après cinq ans, il souhaite tourner la page. Un parent d’un des joueurs de l’ASCE tente de l’attirer dans sa compagnie depuis quelques temps. Il est directeur des ventes d’une meunerie dans la région et il sait que Nabil est agronome. Après quelques hésitations, l’Algérien se laissera finalement convaincre et acceptera de troquer son habit de DT pour celui de représentant-agronome, poste qu’il occupe toujours. C’est un retour aux sources en quelque sorte et un emploi parfait pour celui qui profite d’une belle liberté, qui lui permet de conserver ses fonctions, toujours présentes, dans le soccer.

Depuis ses débuts modestes en 2004, et malgré une multitude d’implications diverses, notamment au sein de la Fédération de soccer du Québec en tant que directeur de cours, Nabil est toujours resté en contact avec l’ARSQ, si bien qu’il a passé le cap des 10 ans au sein de l’organisation, allant de cliniques en formations, de façon contractuelle. Mais il voit plus grand. « Il y a beaucoup de choses que je voudrais faire avec les gardiens de la région, comme développer l’analyse vidéo par exemple, mais mon travail d’agronome ne me le permet pas. J’aurais besoin de plus de temps. »

Les multiples facette de l’entraineur des gardiens de but

Nabil Haned jette un regard profond sur le métier d’entraineur des gardiens de buts au soccer. Sa longue expérience et un peu de recul lui permettent de revenir sur sa passion et de s’aventurer à en juger les tenants et aboutissants. Voici, en guise de finale, quelques-unes de ses réflexions triées sur le volet…

« La job d’entraîneur des gardiens n’est pas très valorisée. C’est pourtant une position importante. Mais c’est un poste de l’ombre et encore assez nouveau dans l’histoire. Nous sommes passés d’échauffeur des gardiens de buts, à préparateur des gardiens et finalement à entraîneur des gardiens. C’est pour dire comment la profession a fait du chemin »

« La tâche de gardien de but au soccer, c’est un sport individuel dans un sport collectif. C’est une discipline à part. »

« Je dois me montrer très ouvert vis-à-vis de mes gardiens de but. De nos jours, ils sont plus intelligents et participent beaucoup à la bonne marche des entrainements. Prenons les gardiennes du Dynamo par exemple… Pendant l’échauffement d’avant-match, une veut qu’on lui tape des ballons dans les mains pour débuter l’échauffement, l’autre aime mieux faire des exercices de déplacement. Je ne peux que les écouter et m’adapter. »

« J’ai arbitré, j’ai été directeur technique, je suis maintenant entraineur. Mais il n’y a rien comme jouer au ballon, être sur le terrain et défendre sa cage. J’aime beaucoup coaché, j’en mange, c’est une passion, mais je donnerais n’importe quoi pour me retrouver de nouveau sur un terrain, avec 10 ans et quelques livres en moins. C’est sans égal! »

source: Pierre-Luc Tremblay | ARSQ