Le rêve tahitien dépasse la réalité du terrain
Cinquième minute de la seconde période ; Tahiti – Uruguay. Gilbert Meriel, le gardien tahitien, s’apprête à relever le plus grand défi de sa carrière professionnelle. Face à lui, l’expérimenté milieu de terrain Andrés Scotti, passé par la Russie, le Mexique et l’Argentine, s’apprête à tirer un penalty. Le dernier rempart polynésien, qui n’a jamais touché un centime pour jouer au football, prend appui et se jette sur son côté gauche…
Quelques secondes plus tard, galvanisé par la spectaculaire parade de son gardien, Steevy Chong Hue se lance dans une course effrénée sur le flanc gauche, éliminant un, puis deux, puis trois défenseurs uruguayens. L’action ne va pas au bout, mais son auteur reçoit la plus grande ovation de sa vie. « Choooong Heee-uuu« , rugit la foule, se fendant au passage d’une petite erreur de prononciation.
Dans la Coupe des Confédérations de la FIFA, Brésil 2013, la sélection tahitienne aura perdu ses trois matches, encaissé 24 buts et marqué une seule fois. Malgré tout, elle a conquis le cœur du public. Une heure après le match, les deux cadres tahitiens – aux côtés de la star, Marama Vahirua – quittent le vestiaire. Ils sont les derniers à sortir. « Nous ne voulons pas que cette aventure s’arrête pour revenir à notre vie quotidienne », avouent-ils à FIFA.com, qui les attend.
Affection et sensations
Encore tout à leur émotion, ils ne se font pas prier pour raconter leurs folles soirées brésiliennes. « Ça a été incroyable d’entendre tout ce monde scander mon nom », commence Chong Hue. « Ça ne m’est jamais arrivé, même à Tahiti ! Les supporters brésiliens ont été énormes, c’est vraiment quelque chose à part. On a tout de suite senti qu’ils s’identifiaient à nous car comme eux, on ne touche rien pour jouer. C’est un peu comme si on les représentait. Si je ne devais retenir qu’une seule chose, ce serait ça, l’affection communiquée par le public », estime l’attaquant de 23 ans, dont le but face à la Nouvelle-Calédonie a envoyé la formation tahitienne au pays du futebol.
Son coéquipier Meriel est du même avis, même s’il retient également son penalty repoussé. « Dès que je l’ai vu se préparer, je savais qu’il allait tirer de ce côté, je me suis jeté sans réfléchir. J’ai eu la chance de pouvoir le sortir. Je sais que ça peut paraître lourd d’encaisser huit buts et que c’est difficile de se satisfaire d’une défaite, mais voir tous ces gens nous encourager, ça procure des sensations incomparables », assure le dernier rempart, qui est resté un bon moment avec ses coéquipiers sur le terrain de Recife avec des drapeaux brésiliens et une pancarte Obrigado Brasil (merci au Brésil).
« Tahiti est une équipe dangereuse aux avant-postes, qui a de la vitesse, et qui possède un bon gardien. » L’hommage est signé Diego Lugano, le capitaine uruguayen, à la fin du match entre les Charrúas et les îliens, reflétant ainsi l’avis de nombreux spectateurs. Aussi Meriel et Chong Hue espèrent-ils que leur présence dans cette Coupe des Confédérations de la FIFA marquera le début d’une nouvelle aventure, tout aussi enrichissante. « Mon rêve, c’est de passer pro », confie l’attaquant, qui a été sur le point d’arriver à ses fins l’an dernier. « Un club belge était intéressé, mais il y a eu des problèmes au niveau du contrat et finalement, ça n’a pas pu se faire », regrette-t-il.
Un rêve de jeu vidéo
Son coéquipier se laisserait lui aussi tenter par une aventure à l’étranger. « Ce serait génial. Malheureusement, Tahiti est isolée et il n’y a pas beaucoup de recruteurs ou d’agents qui s’intéressent à nous. Mais il y a du talent sur cette île et, bien entendu, dans cette équipe. Nous manquons de vécu international car il faut reconnaître que nous sommes trop naïfs sur le terrain. »
Transposant l’analyse sur le plan technique, les deux joueurs se penchent sur les principales différences entre la sélection polynésienne et ses adversaires de standing à Brésil 2013. Meriel s’exprime en premier : « C’est clair qu’il y a des différences. Nous avons montré de belles choses, mais nous avons aussi encaissé des buts dont nous étions entièrement responsables. Il faut continuer de jouer contre de grandes équipes pour élever notre niveau de jeu ». Chong Hue va même plus loin : « N’oublions pas qu’il s’agit des meilleures équipes du monde. Rendez-vous compte, nous avons joué contre nos idoles ! Nous étions inférieurs physiquement et techniquement, mais nous allons travailler dur ».
Rêve et travail sont deux ingrédients indispensables à la réussite ainsi qu’à des fantaisies qui pourraient bien se concrétiser dans un avenir pas si lointain. « Ce serait génial de se retrouver dans le jeu vidéo FIFA, même avec une demie étoile », rigole le numéro 13. « Imaginez deux secondes ! Et qu’ils façonnent nos visages comme ils le font avec Messi et Ronaldo », ajoute son ami, avec la bonne humeur qui a accompagné la sélection tahitienne tout au long de son inoubliable épopée à Brésil 2013.
source: FIFA.com | article