Bélanger : « La vie m’a amenée au bon endroit au bon moment »
A quelques heures de son huitième de finale de la Coupe du Monde Féminine de la FIFA, Canada 2015, FIFA.com a rencontré Josée Bélanger, officiellement attaquante de la sélection du pays hôte, mais qui brille depuis le début du tournoi dans une position inhabituelle de… défenseuse !
Elle revient sur cette adaptation réussie, évoque sans regret la Coupe du Monde 2011 manquée sur blessure, et l’importance de son père dans sa carrière alors qu’elle affrontera la Suisse précisément le jour de la Fête des Pères, le 21 juin prochain, le tout avec un immense sourire accroché aux lèvres et un mot d’ordre pour apprécier tout ce qui lui arrive : « la vie nous amène là où on doit aller. »
Lisez le portrait de Josée Bélanger
Josée, comment expliquez-vous votre adaptation si rapide en défense? Votre expérience d’attaquante vous aide-t-elle à comprendre comment vont réagir les attaquantes adverses ?
La décision est venue du fait qu’en tant qu’attaquante, j’offrais déjà un travail généreux défensivement. L’équipe du Canada est réputée pour sa solidité défensive, les attaquantes sont impliquées autant offensivement que défensivement. J’avais déjà cette expérience de défendre en tant qu’attaquante latérale, sur tout le côté de la ligne. Ce qui est intéressant aussi, c’est que j’ai beaucoup de vitesse. Ça aide également si mon positionnement n’est pas parfait, je peux « tricher » un peu avec ma vitesse. On a essayé, et apparemment mon instinct était très bon pour me positionner et pour couper les angles de passe.
Vous rappelez-vous précisément le moment où le sélectionneur John Herdman vous a proposé ce poste ? Y a-t-il un moment où vous vous êtes dit « ce n’est pas pour moi, je ne vais pas y arriver ? »
(rires) J’ai souri, et j’ai dit : « c’est parfait, je suis prête à relever le défi ! » J’avais une certaine confiance, mais j’avais un doute si en tant que dernière défenseuse j’étais en mesure de faire le travail, mais j’ai pu juger sur un match de préparation pour voir réellement où j’en étais. On a joué contre l’Angleterre, c’était un bon test.
Du coup, cela vous donne-t-il des idées pour la suite de votre carrière ?
A vrai dire, étonnamment, j’ai vraiment adoré jouer dans cette position-là, donc on va dire que je laisse la porte ouverte pour le futur, si on me faisait jouer à nouveau à ce poste-là. Le fait de jouer sur la dernière ligne défensive ou sur la première ligne offensive, ce sont deux composantes où on ressent un peu les mêmes responsabilités, les mêmes sensations. On n’a cette petite excitation en plus. En tant qu’attaquante, il faut faire la différence devant le but, en tant que défenseuse, on n’a pas le droit à l’erreur. On sent qu’on a vraiment un impact réel dans la performance de l’équipe.
Quand on est attaquante, on ne rêve généralement que de marquer des buts. N’est-ce pas frustrant de ne plus être au bon endroit au bon moment ?
Comme attaquante, je suis davantage une personne qui vient chercher le ballon et qui crée l’occasion pour les autres qui sont devant le but. Et ce défi que j’ai à l’arrière, ça comble le manque. Au lieu de marquer, j’arrête les buts et ça me procure la même satisfaction. Ça vient de mes qualités : j’aime bien dribbler, essayer de trouver la dernière passe. Arrière latérale, ça me permet d’avoir cet espace devant moi, de dribbler et de chercher ensuite les attaquantes.
Il y a beaucoup de bonnes jeunes joueuses dans l’équipe, comme Kadeisha Buchanan, Jessie Fleming ou Ashley Lawrence, mais elles jouent derrière ou au milieu. Est-ce difficile pour des jeunes joueuses de s’imposer derrière un monument comme Christine Sinclair ?
Je ne pense pas qu’il y ait moins de possibilités, mais c’est juste que les perles rares du pays sont à d’autres postes qu’en attaque. Mais Adriana Leon, par exemple, n’est pas aussi jeune, mais elle est en train de s’imposer. Et puis des joueuses exceptionnelles comme Christine, il n’y en a pas souvent, c’est une fois par génération !
C’est votre première Coupe du Monde après avoir manqué Allemagne 2011. Avez-vous encore de l’amertume et de la déception quand vous pensez aux blessures qui vous ont fait rater la Coupe du Monde 2011 et les Jeux Olympiques 2012 ?
Je suis quelqu’un qui croit que la vie nous amène là où on doit aller. En manquant cette Coupe du Monde-là, qui était dans un environnement un peu plus sombre que ce qu’il est aujourd’hui, j’ai eu la chance de rester à la maison, de guérir de mes blessures, physiques et psychologiques. Mais je voulais réellement revenir. Je vis la Coupe du Monde avec beaucoup plus d’enthousiasme, parce que je sais que j’ai manqué les dernières opportunités, et parce que j’ai la chance de le vivre dans un environnement positif. La vie est bien faite et m’a amenée au bon endroit au bon moment. Je n’ai plus de séquelles de ces blessures, je suis revenue à mon meilleur niveau, avec plus de maturité et une meilleure compréhension du jeu. Et je peux voir aussi l’impact que j’ai sur les prochaines générations qui arrivent. J’ai un parcours qui est inspirant, à savoir que malgré les obstacles, de belles choses peuvent arriver si on travaille fort et si on croit à ses rêves.
Le 21 juin, vous allez disputer un huitième de finale de Coupe du Monde. Mais c’est aussi un jour important en dehors du football : c’est la fête des pères ! Quelle influence a eu le vôtre sur votre carrière ?
Mon père est un homme d’affaires, qui n’était pas dans le football, mais pour lui c’était important de m’encourager dans ce que j’aimais. Il a pris le temps de me tester, de me questionner, de voir si c’était réellement ça que je voulais faire, une carrière dans le football, si je pouvais gagner ma vie en jouant au soccer. Même s’il me disait : « Tu devrais pas plutôt trouver un travail. » Mais quand il a réalisé que j’étais convaincu que c’était ce que je voulais faire, il a compris qu’il devait m’encourager. Un jour il m’a déjà écrit une phrase : « Dans la vie, il n’y a rien d’acquis, il faut travailler pour y arriver. » C’est quelque chose qu’il m’a démontré à travers son expérience avec son business, à travers les hauts et les bas : être passionné par ce qu’on fait, et croire en ce qu’on veut atteindre.
Quel est son rapport à votre carrière ? S’y connait-il en football et vous donne-t-il des conseils ?
Je ne crois pas qu’il m’ait appris quelque chose en football. Déjà il connaît les règles, c’est un point positif ! (rires) Je ne crois pas qu’il comprenne nécessairement les stratégies de match, mais il s’assure de regarder les matches à la télé. Il va voir si je fais un tacle important pour arrêter un ballon ou si je marque un but, c’est quelque chose qu’il comprendra et qui lui fera plaisir, et il me dira que j’ai vraiment bien travaillé pour ce geste-là. Mais il ne me reprochera pas le fait d’avoir été excentrée ou en retard. Avec ma famille, je ne peux pas trop parler de tactique. Mais c’est plutôt positif parce que le fait que mes parents ne s’y connaissent pas vraiment, ils me laissent vivre l’expérience sans me mettre de pression, parce qu’ils ne savent pas nécessairement les erreurs que j’ai pu faire. Du coup, nos discussions vont toujours être positives.
Quand avez-vous su que vous vouliez être professionnelle et vivre du football ?
A 12 ans, je jouais dans ma petite ville, et j’ai été recruté pour jouer au niveau régional. A ce moment-là, je ne voulais pas nécessairement vivre du football, parce que je ne comprenais pas qu’il y avait quelque chose de plus. J’avais déjà beaucoup de plaisir, on avait de bons résultats. Mais on m’a convaincu d’aller à cette sélection. Et j’ai réalisé à ce moment-là qu’il y avait beaucoup plus pour les femmes dans le soccer. Aux environs de 13 ans, j’ai eu l’influence de Mia Hamm, qu’on entendait parler de plus en plus. J’ai réalisé que moi aussi je pourrais un jour représenter mon pays et devenir professionnelle. J’étais très passionnée, et j’avais beaucoup de volonté, alors je me suis dit que j’allais tout faire pour y arriver.
Pour terminer, a-t-on le temps pour une autre passion quand le football est toute sa vie ?
J’aime beaucoup lire, sur la psychologie, le développement de l’enfant. C’est quelque chose que j’aimerais pouvoir faire après ma carrière. J’étudie la kinésiologie, la science de l’activité physique, au Québec. J’espère pourvoir m’impliquer dans le soccer et pourvoir aider les jeunes joueurs et joueuses à apprendre à développer leurs qualités physiques pour pouvoir atteindre un plus haut niveau si c’est ce qu’ils désirent, mais également travailler avec les plus jeunes pour leur développement moteur.
Quels sont les sacrifices que vous avez dû faire pour réaliser votre rêve ?
Le fait que j’ai commencé à jouer jeune et que j’étais réellement passionnée, ça m’a évité beaucoup de sacrifices. Je ne l’ai pas vu dans ce sens-là, parce que c’était ce que je voulais vraiment faire. Sortir avec mes amies n’était pas nécessairement quelque chose qui m’intéressait, parce que c’était beaucoup plus important pour moi de jouer au soccer, d’être toujours prête, d’être en forme. Le plus gros problème, ça a été davantage un effort qu’un sacrifice. Comme je venais d’une petite ville, je devais voyager deux heures aller, deux heures retour pour aller à mes entraînements à Montréal. Ça a été le plus gros effort, de faire beaucoup de route. Et je suis quelqu’un qui est très proche de sa famille également, donc à un certain moment, quand on part souvent, on en souffre. Ça a été un autre sacrifice. Mais ce sont des choses qui en valent la peine.
source: FIFA.com | Photo: ©Getty Images